Depuis plusieurs mois, la colère des agriculteurs éclate au grand jour. Loin d’être une colère épisodique, ce mécontentement qui traverse tout le pays est le résultat d’années de conditions de vie inacceptable. Chez nous en Ariège, un drame qui a coûté la vie à Alexandra, une jeune agricultrice et sa fille est venu endeuiller tout un département et au-delà tout le monde paysan. C’est donc dans un contexte de profond désespoir, d’inquiétudes pour l’avenir et de ressentiment que s’est tenu à la fin février le traditionnel Salon de l’agriculture. Entre échanges tendus et légitimes revendications, retour sur une crise agricole qui nous concerne tous.
Une tragédie qui a bouleversé l’Ariège
Lundi 22 janvier dernier, dans la nuit,une jeune agricultrice de 35 ans et sa fille adolescente ont perdu la vie à Pamiers dans des conditions tragiques. Ce drame nous a tous bouleversé et nous sommes nombreux à avoir adressé nos condoléances et tout notre soutien à la famille si durement touchée, aux proches et au monde agricole endeuillé. Encore une fois, je tiens aussi, à saluer nos agriculteurs qui ont manifesté leur tristesse et leur compassion avec une immense dignité.
Ces évènements nous interrogent et nous avons à y répondre collectivement. Car si nos agriculteurs, tout comme l’a fait Alexandra, ont ressenti le besoin d’aller manifester pacifiquement sur ces barrages routiers c’est qu’ils étaient arrivés à bout ! Ils se sentent abandonnés, stigmatisés, caricaturés, mal aimés.
Dès le lendemain de ce terrible accident, c’est cette incompréhension que j’ai tenu à relayer lors des séances de questions d’actualité au Gouvernement que j’ai adressée à Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture.
J’ai rappelé solennellement lors de cet échange les raisons d’une escalade qui doivent être entendus et qui nécessitent impérativement de trouver réponse : il en va là de notre capacité à sauvegarder notre modèle agricole à l’heure où les tensions et les conflits à nos portes doivent nous amener à garantir notre souveraineté alimentaire. Rappelons tout de même que la France a une production agricole qui a tendance à stagner voire à se réduire dans de nombreuses filières (viande bovine et volaille, cheptel ovin, fruits et légumes frais).
Une colère multi-factorielle
Sur les barrages, les agriculteurs ont exprimé un profond sentiment d’abandon de la part de l’État, et estiment que leur profession est incomprise de la part de leurs concitoyens.
Leurs revendications multiples, témoignent en effet d’un mal-être profond qui se propagent à toutes les générations. Ainsi, le sujet des rémunérations des agriculteurs et agricultrices est l’une des premières revendications. Ce sont près de 20 % des ménages agricoles qui se situent sous le seuil de pauvreté, soit un taux légèrement supérieur à la moyenne nationale (autour de 15 %).
En outre, beaucoup d’exploitants se plaignent du prix de vente des produits agricoles, très insuffisant pour faire face aux coûts de production. Depuis plusieurs années, les agriculteurs dénoncent des pressions à la baisse sur les prix de vente dans les négociations commerciales, sans arriver à faire bouger les lignes.
Autre critique importante : le sentiment d’être confronté à une concurrence déloyale, tant au sein de l’Union Européenne (UE), avec des normes environnementales et sociales différentes selon les pays membres, qu’avec des pays tiers. Ils dénoncent notamment des accords commerciaux, signés entre l’UE et des pays tiers, qui se montrent moins exigeant vis-à-vis des produits importés au sein de l’UE, en matière environnementale et sanitaire, que vis-à-vis des produits européens.
La trop grande complexité administrative est, elle aussi, un des principaux sujets d’exaspération : les agriculteurs dénoncent un empilement des normes et des complexités administratives qui vient alourdir leur tâche alors que la plupart travaillent déjà plus de 80H par semaine !
Quant aux versements de la Politique Agricole Commune (PAC), les agriculteurs se sont montrés particulièrement critiques vis-à-vis des retards fréquents, particulièrement importants cette année et notamment en Ariège, en ce qui concerne l’éco-régime. Pour certains, ce retard de la PAC se conjugue à l’attente d’indemnisations sanitaires et climatiques (grippe aviaire, bovins victimes de la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui frappe de plein fouet notre département avec 700 élevages concernés et 275 foyers infectés.
Quelles réponses du gouvernement ?
C’est au Salon de l’Agriculture que le Gouvernement et le Président Emmanuel Macron ont réservé leurs principales annonces, et il est peu de dire qu’elles étaient attendues.
Présente sur le salon pendant deux jours consécutifs, j’ai eu l’occasion d’aller à la rencontre de nos exploitants et éleveurs, mais j’ai aussi tenu à participer à des réunions de travail avec différentes organisations représentants l’ensemble de la profession (FNSEA, coopération agricole, JA, etc…). Ces échanges sont précieux et nourrissent le travail que nous aurons à effectuer lors de l’examen de la future loi d’orientation agricole devant le Parlement.
L’exécutif, pris à partie de manière assez virulente pendant le salon, a tenu à l’issue de ces échanges, à rendre publiques de multiples annonces et notamment un plan de trésorerie d’urgence, un travail sur le prix plancher, la reconnaissance de l’agriculture et l’alimentation « comme un intérêt général majeur » de la France et la reconnaissance d’un « droit à l’erreur ».
Ce que nous pouvons d’ores et déjà en retenir :
- L’abandon de la trajectoire de hausse des prix du GNR a été acté ainsi que l’avance de remboursement arrivera en février au lieu de juin, équivalant à un allègement de trésorerie de 230M€ dès février.
- En ce qui concerne les retraites, le Gouvernement a annoncé reprendre le travail pour rendre opérationnelle la loi Dive de février 2023 visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles sur la base des 25 meilleures années de revenus.
- Ensuite, pour lutter contre les mauvaises pratiques de la grande distribution et des industriels, le Gouvernement a annoncé le renforcement d’EGAlim ainsi que le renforcement des contrôles de la DGCCRF de la distribution et des industriels (150 contrôleurs supplémentaires).
- En outre, les contrôles sur l’origine des produits (cible 10 000 contrôles et des sanctions pouvant aller jusqu’à 10% du CA) seront également développés.
- Enfin, le Président de la République a évoqué la mise en place de prix planchers, basé sur un indicateur de coût de production agricole déterminés par filières, ainsi que la reconnaissance d’un droit à l’erreur.
L’examen de la loi d’orientation agricole qui sera examinée prochainement sera donc une étape attendue où il sera question de concrétiser un certain nombre d’annonces, car les problèmes de nos agriculteurs sont loin d’être résolus ! J’en veux pour preuve les conséquences désastreuses de la MHE (Maladie hémorragique épizootique) qui s’est abattue sur l’Ariège, au point d’en faire un des départements les plus touchés. Au-delà des 5,8 millions d’euros débloqués pour y faire face dont je me félicite, on constate que la multiplication de ces maladies, nécessite une réponse et prise en charge rapide et coordonnée, pour ne pas ajouter du désarroi au désarroi.