Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont au final toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Le projet de loi qui a été voté en fin d’année n’a malheureusement pas échappé à la règle. Composée d’un volet répressif et d’un volet “intégration”, cette réforme qui se voulait équilibrée selon les dires du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a été considérablement durcie après son passage au Sénat. Malgré nos efforts pour rétablir un équilibre lors de son examen à l’Assemblée nationale, une motion de rejet préalable au projet de loi a été adoptée, avec les voix de la gauche, des LR et du RN. Son adoption a entraîné l’interruption de l’examen du texte avant même que ne soient abordés les articles au fond. C’est donc, à mon grand regret, une version durcie qui a fait l’objet d’un compromis en CMP à l’initiative de la droite sénatoriale, qui va donc s’imposer.
Un durcissement qui ne répond pas aux enjeux de la crise migratoire
Force est de constater que chaque gouvernement une fois installé se lance dans un projet de loi sur l’immigration, qui conduit le plus souvent à des restrictions de droits supplémentaires pour les personnes étrangères. Celui-ci n’échappe pas à la règle. La philosophie sur laquelle repose le texte, faussement présenté par le gouvernement comme « équilibré », demeure bien marquée par l’idée de tout faire pour freiner les migrations des personnes exilées, par un renforcement continu des mesures sécuritaires et répressives. Si beaucoup s’accordent à dire qu’un contrôle de notre politique migratoire est une nécessité, il ne peut se faire toutefois au mépris de la réalité du contexte international dans lequel les migrations vont continuer à occuper une place croissante.
Au-delà du texte en lui-même, le climat dans lequel il a été examiné est particulièrement inquiétant. Un climat délétère alimenté par les propos de responsables politiques de l’extrême droite et même de la droite républicaine qui portent un discours très stigmatisant sur les personnes étrangères, en mettant l’accent sur la délinquance et les difficultés d’intégration. Ces partis font le choix d’attiser les peurs et les tensions ce qui rend difficile tout débat apaisé sur ces questions, pourtant gage de cohésion sociale.
Des mesures censées « favoriser l’intégration » trop limitées, voire contreproductives
Certaines mesures du texte laisseraient à penser qu’elles pourraient améliorer le quotidien des travailleurs et travailleuses sans papier. Si l’on prend l’exemple de l’article 3 devenu article 4 bis au sortir du Sénat et qui propose de créer une voie de régularisation pour les seules personnes exerçant un métier en tension, on s’aperçoit en premier lieu que la mesure réduite aux seuls métiers en tension pose problème. En effet, la liste des métiers en tension ne correspond pas aux réalités du terrain. Ainsi, la plupart des secteurs qui embauchent massivement les personnes sans-papiers sont à ce jour presque absents de la liste des métiers en tension (bâtiment, restauration, ménage, aides à la personne…). Nous avons déposé avec mes collègues du groupe LIOT un amendement qui a été adopté en commission et qui prévoit une forme de « départementalisation » de cette liste afin qu’elle corresponde le mieux possible aux réalités et besoins de chaque territoire. Il n’a malheureusement pas été retenu en commission mixte paritaire (CMP).
De même, en ce qui concerne l’apprentissage de la langue française. Si l’idée de conditionner l’entrée sur le territoire par la connaissance de la langue peut paraître utile, il se trouve que les restrictions apportées par ce texte sont, en réalité, particulièrement difficiles à satisfaire. Ainsi, l’article 1 du projet de loi, prévoit pour l’obtention de la carte pluriannuelle l’obligation de présenter un diplôme de langue française, justifiant d’un niveau A2 (niveau intermédiaire ou à l’écrit niveau collège). Les frais d’inscription à ces examens varient selon les organismes et les territoires entre 90 euros et 140 euros. Si cette mesure s’applique, et que le niveau déterminé est le A2, 40 % des personnes verront leur demande de carte pluriannuelle rejetée. Par ailleurs, cette mesure est aujourd’hui inapplicable car les organismes de formations et les centres d’examen en français sont déjà saturés : ils ne sont pas présents sur l’ensemble des territoires et plusieurs mois d’attente sont nécessaires avant de pouvoir intégrer une formation linguistique ou s’inscrire à un examen. On se demande alors comment ces centres pourront absorber les quelques 55 000 demandes supplémentaires…. Là aussi, nous avons défendu le principe de privilégier la maîtrise orale de la langue française, principe adopté en commission, mais rejeté en CMP.
Une surenchère sécuritaire à l’œuvre
Le reste des dispositions contenues dans le projet de loi s’inscrivent dans un cadre répressif. Sous couvert de simplification des règles du contentieux, les délais de recours sont raccourcis, les garanties procédurales amoindries. Et pour réduire la durée de la procédure d’asile, le fonctionnement de l’OFPRA et de la CNDA sont profondément modifiés, avec un risque d’affaiblissement de ces instances de protection.
Les amendements adoptés par la commission des lois du Sénat n’ont guère arrangé les choses : durcissement du regroupement familial, atteinte au droit du sol, affaiblissement des protections des jeunes majeurs, démantèlement du droit au séjour des personnes étrangères malades…
Sur le regroupement familial, les conditions pour faire venir sa famille en France sont actuellement drastiques, elles ne peuvent être remplies que par une personne installée de longue date et très bien insérée dans la société. Le Sénat a voulu durcir ces conditions d’accès en passant à 24 mois l’exigence de séjour régulier pour la personne installée en France, contre 18 actuellement. La maîtrise de la langue française a également été ajoutée alors que ces personnes qui ne vivent pas en France, et qui n’ont pas encore pu bénéficier des formations à la langue française prescrites dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, n’ont pas forcément la possibilité d’apprendre le français dans leur pays d’origine, et seraient donc privées du droit de vivre en famille.
Sur la suppression de l’AME et la mise en place d’une aide médicale d’urgence, au Sénat.
Nous nous y sommes opposés fermement ! Elle fait courir un risque sanitaire aux personnes concernées mais aussi aux Français. Le choix fait en séance par les Sénateurs de limiter encore plus le dispositif en mentionnant la notion de « pronostic vital » paraît vraiment disproportionné.
Par ailleurs, en l’état, le panier de soins maintenu reste incertain, l’article renvoyant à un décret.
Je ne suis pas opposée à l’idée de supprimer des procédures strictement esthétiques, mais nous nous opposons à la suppression pure et simple de l’AME ou à sa limitation aux seuls soins urgents. C’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que j’ai déposé. La raison est simple : cette suppression n’éliminerait pas le besoin de soigner et aggraverait la pression déjà élevée qui touche nos hôpitaux, notamment les services d’urgence. Au final, les mesures restrictives concernant l’AME ne figure plus dans la loi et doit faire l’objet d’un texte ultérieur…
Sur l’acquisition de la nationalité française : à l’heure actuelle, les jeunes nés en France et qui y ont grandi deviennent français automatiquement à leur majorité. Ceci permet à des personnes qui n’ont pas accès aux informations sur les procédures de déclaration devenir françaises, et contribue ainsi aux politiques d’intégration françaises. Le Sénat a obtenu la suppression du principe d’acquisition automatique de la nationalité française par les jeunes nés et ayant grandi en France, qui arrivent à leur majorité. À la place, le texte prévoit désormais qu’une procédure de déclaration devra être entamée par ces jeunes, avant leur 18e anniversaire. Quand on connaît les taux de non-recours de certains publics on peut supposer que cette mesure privera en pratique de la nationalité française les personnes n’ayant pas eu accès à l’information avant leur majorité. C’est pour cette raison que j’ai souhaité défendre un amendement revenant à l’automacité de l’acquisition de la nationalité française pour ces jeunes nés et résidant en France. Je me réjouis qu’il ait été adopté lors des débats en commission, même si ce principe n’a pas été retenu en CMP.
Sur la question des femmes, il faut savoir qu’ellesreprésentent en France plus de la moitié des personnes migrantes avec des parcours souvent marqués par les violences et les traumatismes. Elles sont pourtant les grandes absentes des discours politiques sur l’immigration et complètement oubliées dans ce texte de loi. Beaucoup d’acteurs du droit d’asile estiment que ce texte va venir aggraver la situation de celles qui subissent déjà une double discrimination, en tant que femmes et en tant qu’étrangères. Ainsi, la création de métiers en tension va les mettre en difficulté. En tant que femmes étrangères, elles sont souvent cantonnées à des emplois qui ne sont pas considérés comme des métiers «en tension», peu rémunérateurs ou non-déclarés, emplois qui font pourtant fonctionner des pans entiers de l’économie française, à moindre frais.
Au final, malgré quelques mesures présentées comme étant protectrices pour les personnes migrantes ou à même de favoriser leur intégration, l’ensemble du texte reste très insuffisant pour répondre aux enjeux d’accueil des personnes migrantes.
C’est dans cet esprit que j’ai d’ailleurs signé, avec une trentaine de parlementaires issus d’horizons différents un appel qui assume clairement la volonté d’apporter des solutions concrètes pour les travailleuses et travailleurs sans papiers, en particulier dans les secteurs en tension tels que le BTP, l’hôtellerie-restauration, la propreté, la manutention et l’aide à la personne. Car, s’ils évoluent dans l’ombre, il ne faut pas oublier que ces travailleurs contribuent directement à l’économie de notre pays. Nous sommes nombreux à penser qu’une autre politique migratoire est possible, fondée le respect des droits et de la dignité des personnes.