Le projet de loi relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise a été examiné à l’Assemblée nationale en juin dernier. Il est en fait une transposition législative d’un accord élaboré en février 2023 entre les trois principales organisations patronales et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives et le gouvernement. C’est indéniablement à mettre à son crédit. Ce texte répond à un double objectif : améliorer la répartition de la valeur créée et mieux récompenser les salariés en cas de performances exceptionnelles des entreprises. Il le fait en incluant davantage les salariés dans le partage des bénéfices de l’entreprise. Pourtant, l’examen en séance a montré qu’il était loin de répondre aux enjeux d’un meilleur partage des richesses dans notre pays.
Une répartition des richesses très inégale
Il était temps, en effet, que l’Assemblée nationale se saisisse de la question du partage de la valeur dans l’entreprise. De fait, le rapport de la mission d’information présenté en avril dernier montre les carences du droit en vigueur et la nécessité de l’aménager.
Les chiffres sont saisissants : entre 2011 et 2021, selon les derniers rapports d’Oxfam, la part dédiée à la rémunération du travail dans la valeur ajoutée a chuté de 10 points dans les cent plus grandes entreprises françaises cotées. Celles-ci ont versé à leurs actionnaires en moyenne 71 % des bénéfices réalisés chaque année. La rémunération de leurs PDG a augmenté de 66 % tandis que celle des salariés n’a crû que de 21 % et le Smic, de 14 %.
C’est la preuve d’un écueil majeur de notre système de répartition des richesses au sein des entreprises, et plus largement au sein de la société : nous ne pouvons demeurer indifférents, d’une part, à l’accroissement démesuré des rémunérations sous forme de dividendes et d’actions ; d’autre part, aux difficultés croissantes des salariés pour vivre des fruits de leur travail. Cette impasse doit au minimum nous pousser à nous interroger sur notre capacité à lutter réellement contre les injustices sociales.
Quid de la revalorisation des salaires ?
Ce texte n’est malheureusement pas une réponse satisfaisante aux problèmes de pouvoir d’achat des Français car, rappelons-le, le premier outil de partage de la valeur est l’augmentation des salaires et c’est ce qu’attendent les Françaises et les Français.
Alors que l’intéressement et la participation sont, eux, des dispositifs vertueux, négociés, qui fédèrent un collectif de travail autour d’objectifs partagés, ce texte préfère promouvoir la prime, en prétendant qu’elle est plébiscitée. Sans doute l’est-elle, mais par les employeurs, puisqu’elle n’implique aucune charge, aucune négociation et leur donne un argument pour proposer de moindres augmentations de salaires.
Autrement dit, même si nous saluons certaines avancées, il faut rappeler que ces outils ne peuvent et ne doivent pas se substituer aux salaires. Considérer que la question de la rémunération se règlera par ce biais serait erroné. Les primes ne constituent pas une politique salariale satisfaisante. A minima, il conviendrait de décorréler les négociations portant sur les salaires de celles relatives au partage de la valeur. Les effets de substitution de la prime « Macron » aux salaires seraient de 15 à 40% (entre 15€ et 40€ auraient été accordés en salaires sans cette prime). Il faut donc être très vigilants sur ces effets d’aubaine, qui se traduisent par de revalorisations salariales plus faibles qu’attendues.
Ces constats sont d’autant plus problématiques que les études économiques montrent que les dispositifs d’intéressement augmentent les gains de productivité.
Les salariés des PME et TPE défavorisés ?
Autre bémol : ces outils ne profitent pas à tous les salariés, ni à toutes les entreprises. De nombreuses entreprises sont encore dépourvues de tels dispositif ; et au sein des entreprises concernées, tous les salariés n’y ont pas accès. Enfin, le calcul des primes avantage parfois davantage le haut de l’échelle des salaires plutôt que les plus petites rémunérations. Sur ce point, l’ANI propose toutefois des évolutions intéressantes.
Ainsi, si ce texte prévoit obligation légale, pour les entreprises de onze à cinquante salariés, d’instaurer un dispositif de partage de la valeur, aucun montant minimum n’est fixé, si bien que les employeurs pourront se contenter de verser une prime de 1 euro. Pourtant cela aurait été utile, et constitué une avancée réelle, car, dans notre pays, le salariat est à deux vitesses, avec, d’un côté, les salariés des grands groupes, qui sont les mieux rémunérés et ont accès à l’intéressement, à la participation et à l’épargne salariale, de l’autre les salariés des très petites entreprises TPE – très petites entreprises – et PME qui, outre qu’ils sont bien moins rémunérés, sont privés de ces avantages.
Des propositions d’améliorations concrètes
Alors que le pouvoir d’achat recule sous le coup de l’inflation et que le pays compte 1,2 million de travailleuses et de travailleurs pauvres, le sujet du partage de la valeur est essentiel. Il doit répondre à l’enjeu du pouvoir d’achat, préoccupation majeure des citoyens ; mais aussi pour tenir compte de l’évolution du rapport au travail, et de la demande d’engagement et de participation active au sein des entreprises.
Toutefois, les organisations syndicales dénoncent l’absence de reprise intégrale du contenu de l’ANI, remettant en cause son équilibre et c’est tout le sens des amendements que nous avons proposé avec mes collègues du groupe LIOT pour améliorer ce texte.
Décorréler les négociations portant sur les salaires de celles relatives au partage de la valeur, mesurer l’impact de ces règles fiscales sur notre Sécurité sociale (on estime que ces dépenses fiscales et sociales sur les dispositifs de partage de la valeur ont entrainé 8 Md€ de moindres recettes pour la Sécurité sociale entre 2018 et 2022),plus grande conditionnalité des aides aux entreprises, meilleure prise en compte des résultats exceptionnels dans le texte qui parait encore timide et gagnerait à être plus encadrée… Autant d’amendements que nous avons présentés mais qui n’ont pu être adoptés en séance.
Au total, ce projet de loi souffre donc d’insuffisances manifestes et ne sera pas en mesure de répondre au défi majeur : renforcer le pouvoir d’achat des ménages. Ce que souhaitent les salariés, quant à eux, même si une prime est toujours la bienvenue, c’est une augmentation salariale, mensuelle, pour payer leurs factures, emprunter, et se projeter avec leur famille dans l’avenir.